Séminaire sur le dialogue des juges: « Il faut prévenir les conflits négatifs de compétence entre juridictions »
(dixit le PCC, le Pr Dorothé SOSSA)
La Cour constitutionnelle organise depuis ce lundi 25 Novembre 2024 à Grand-Popo, un séminaire sur le dialogue entre juge de la constitutionnalité et juge de la légalité. L’objectif de cette rencontre de deux jours est d’instaurer un mécanisme de dialogue périodique entre juridictions pour une convergence des décisions sur des questions relatives à la violation des droits de l’homme. C’est le Président de l’institution, le Professeur Cossi Dorothé SOSSA qui a ouvert les travaux.
Prennent part à ce séminaire, les conseillers à la Cour constitutionnelle, la Secrétaire générale de l’institution, le procureur général près la Cour suprême, les conseillers à la cour suprême, des magistrats envoyés par le Ministère de la Justice, et les assistants juridiques de la Cour constitutionnelle. Cette initiative de la haute juridiction permettra de renforcer la cohérence et l'efficacité du système judiciaire. Elle permet aussi aux juges de différents niveaux de justice de partager leurs expériences, de clarifier leurs rôles respectifs et de trouver des solutions communes aux défis juridiques contemporains.
En ouvrant les travaux, le Président Dorothé SOSSA a été on ne peut plus clair : « Le dialogue des juges qui nous préoccupe et doit nous occuper, ici et maintenant, dira – t-il, est celui intervenant entre nous : juges nationaux. Et dans la mesure où il s’agit, pour nous, de définir une conjonction heureuse de l’action du juge de la constitutionnalité et de celle du juge de la légalité de notre pays il nous faut mettre nos réalités en perspective ».
Face au foisonnement des recours à la Cour constitutionnelle, il s’est adressé aux participants en s’interrogeant : Est-il concevable que les droits fondamentaux soient invoqués à l’encontre d’un particulier ? Le citoyen, non dépositaire d’un pouvoir public, est-il débiteur des droits de l’homme ? Ne serait-il pas possible d’envisager que l’intervention du juge de la légalité précède celle du juge de la constitutionnalité chaque fois que le dossier l’autorise ? Aucune solution légale n’est-elle envisageable pour prévenir la garde-à-vue et la détention provisoire abusives ?
A toutes ces questions, le Professeur Dorothé SOSSA a lui-même trouvé quelques pistes de solutions. Il s’agira selon lui : de générer la formation de jurisprudences compatibles entre nos différentes juridictions, d’éviter les réponses inconciliables à une même question juridique, de prévenir les conflits négatifs de compétence entre juridictions et de faire converger l'interprétation des textes juridiques.
La communication sur le dialogue entre juge de la constitutionnalité et juge de la légalité donnée par les conseillers Michel ADJAKA de la Cour constitutionnelle et Alexis METAHOU de la Cour suprême ont édifié les participants.
Dans l’après-midi de ce lundi, les participants ont été scindés en deux groupes pour réfléchir sur des recommandations relatives à la mise en place d’un cadre de concertation entre juridictions de la légalité et la Cour constitutionnelle pour assurer une interprétation harmonieuse des dispositions constitutionnelles. La restitution en plénière des travaux en groupe a mis fin aux activités de cette première journée de ce séminaire.
Extrait du discours d’ouverture du Président de la Cour constitutionnelle, le Prof, Dorothé SOSSA
« Sur le continent européen, voisin et proche, la paternité de l’expression « dialogue des juges » est attribuée au juriste français Bruno Genevois. On rappelle que, dans ses conclusions relatives au dossier Cohn-Bendit, dont l’arrêt a été rendu par le Conseil d’État français le 22 décembre 1978, ce commissaire du Gouvernement, tout en invitant à adopter une solution différente de celle de la Cour de Justice des Communautés Européennes sur la portée des directives, conclut que « il ne doit y avoir ni gouvernement des juges, ni guerre des juges. Il doit y avoir place pour le dialogue des juges ».
Pour les anglo-américains le « dialogue des juges » est principalement la pratique des tribunaux nationaux et internationaux qui utilisent le raisonnement d'autres tribunaux pour construire une meilleure interprétation d'une norme juridique contenue dans une constitution ou dans une convention internationale interétatique.
Dans le contexte des droits de l'homme, en particulier, le dialogue vise à promouvoir l'enrichissement mutuel des normes constitutionnelles et internationales de protection de ces droits entre les tribunaux de différentes juridictions. Pour cette raison, il peut être pratiqué à différents niveaux : (1) entre les tribunaux nationaux ; (2) entre les tribunaux internationaux ; ou (3) entre les tribunaux nationaux et internationaux.
En d’autres termes, le « dialogue des juges » apparaît comme une forme nouvelle de communication entre les juridictions. Il décrit les interactions et échanges entre différentes juridictions. Celles-ci, de façon souvent informelle, dialoguent pour élaborer des jurisprudences tenant compte les unes des autres, pour établir une relation harmonieuse, et éviter les conflits.
Dans tous ces cas, le dialogue repose sur ce qu’on a appelé une « déférence réciproque » qui permet l'existence d'une interaction libre et vivante entre les tribunaux. Cependant, cette interaction cherche également à respecter les différences entre les tribunaux, en reconnaissant les règles particulières applicables dans la juridiction d'un tribunal donné, les différents domaines de compétence définis par le droit et les identités culturelles. Un proverbe africain rappelle, en effet, que « Le dialogue véritable suppose la reconnaissance de l'autre à la fois dans son identité et dans son altérité. »
Sans aucun doute, le dialogue juridictionnel est un phénomène qui a émergé de la pratique des cours et tribunaux eux-mêmes. Ceux-ci ont ouvert la voie, et il est revenu aux universitaires de théoriser le processus.
Là où il se pratique et se vit couramment, on relève que le dialogue des juges promeut le bon fonctionnement et l'évolution d'un État de droit moderne. Il permet non seulement d'améliorer la qualité et la cohérence des décisions juridictionnelles, mais aussi de renforcer la protection des droits fondamentaux.
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Le dialogue des juges qui nous préoccupe et doit nous occuper, ici et maintenant, est celui intervenant entre nous : juges nationaux. Et dans la mesure où il s’agit, pour nous, de définir une conjonction heureuse de l’action du juge de la constitutionnalité et de celle du juge de la légalité de notre pays il nous faut mettre nos réalités en perspective.
A cet égard, l’article 114 de la Constitution dispose que : « La Cour constitutionnelle est la plus haute juridiction de l'État en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité de la loi et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. Elle est l'organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l'activité des pouvoirs publics. »
De toutes les compétences de la Cour Constitutionnelle ainsi énoncées, il y en a une pour laquelle son action croise celle du juge de la légalité : la garantie des droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques.
En effet, l’article 3, alinéa 3, de la loi fondamentale : « Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels. »
Nos concitoyens ne se privent pas de se prévaloir de ce large accès à la haute Juridiction.
Il y a des situations où des questions s’emparent du Juge constitutionnel face au foisonnement des recours. Par exemple :
• Est-il concevable que les droits fondamentaux soient invoqués à l’encontre d’un particulier ? Le citoyen, non dépositaire d’un pouvoir public, est-il débiteur des droits de l’homme ?
• Ne serait-il pas possible d’envisager que l’intervention du juge de la légalité précède celle du juge de la constitutionnalité chaque fois que le dossier l’autorise ?
• Aucune solution légale n’est-elle envisageable pour prévenir la garde-à-vue et la détention provisoire abusives ?
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Avec notre dialogue amorcé ce jour nous pourrions :
• générer la formation de jurisprudences compatibles entre nos différentes juridictions ;
• éviter les réponses inconciliables à une même question juridique ;
• prévenir les conflits négatifs de compétence entre juridictions ;
• faire converger l'interprétation des textes juridiques.
Notons ici que le dialogue des juges peut prendre plusieurs formes: il peut s’agir, notamment, d’un dialogue d’autorité, d’un dialogue de persuasion ou d’un dialogue de partage.
Le dialogue d'autorité intervient généralement dans le cadre de relations hiérarchiques entre juridictions d'un même ordre. Le juge supérieur impose son interprétation au juge inférieur. C’est la règle entre nos Cours d’appel et les tribunaux de leur ressort ou entre la Cour suprême et le juge du fond.
Le dialogue de persuasion tient dans un échange plus horizontal entre juridictions, où chacune tente de convaincre l'autre de la pertinence de son raisonnement, sans pouvoir l'imposer.
Quant au dialogue de partage il implique une collaboration plus étroite entre juridictions, qui partagent leurs analyses et construisent ensemble une interprétation commune.
Je voudrais ici nous inviter à faire surgir et entretenir les voies et moyens d’un partage permanent dans notre fonctionnement chaque fois que de besoin ».
Merci de votre attention.
AP-PCC